Petite histoire de la notion d’ambiance


resumo resumo

Jean-Paul Thibaud



l’ambiance ne peut être dissociée des contextes d’action et d’interaction dans lesquels s’engagent les passants. Bref, dès lors que l’on adopte le point de vue du citadin, on ne peut pas faire comme si l’ambiance était une réalité en soi, autonome, indépendante des problèmes pratiques de tous les jours. D’autre part, en cherchant à mettre en évidence le caractère opératoire d’une ambiance, il s’agira de faire œuvre de clarification[63]. Plutôt que de chercher à définir l’ambiance une fois pour toute, je procèderai à un certain nombre de variations la concernant, chacune d’elles devant permettre d’identifier ce qu’elle mobilise, produit et effectue.

A première vue, il peut sembler paradoxal ou contradictoire de parler d’une pragmatique des ambiances. Comme on l’a vu à plusieurs reprises ci-dessus, l’ambiance est d’abord et avant tout de l’ordre du sensible et du pathique. Elle suppose une attention minimale à la phénoménalité du monde environnant et se situe en-deçà de l’action finalisée. Quoi de plus opposé que le sensible et le pratique ? Dans un cas, l’attention serait toute orientée vers des qualités sensibles, vers l’éclat des couleurs, la tonalité des sons, la texture des matériaux, etc. Cela ne serait possible qu’à la condition d’un rapport désintéressé au monde environnant[64]. Dans l’autre cas, tout se passe comme si l’agent était complètement pris par ce qu’il est en train de faire et focalisé sur l’accomplissement d’une tâche en cours. Ne faut-il donc point choisir entre ces deux points de vue ? Sensibilité esthétique et action pratique sont-elles conciliables ? Tel est sans doute un des enjeux principaux d’une pragmatique des ambiances.

Affirmer outre mesure l’écart entre le sentir et l’agir serait se méprendre à la fois sur ce qu’agir veut dire et sur la conception originale qu’en propose le pragmatisme. Une des erreurs principales est de réduire le monde pratique à l’action instrumentale. Comme l’analyse très bien Hans Joas[65], « la théorie de l’action peut être accusée de pencher, dans son principe même, du côté d’une relation activiste avec le monde, par quoi elle se révélerait manifestement tributaire d’une spécificité culturelle, voire peut-être sexuelle, et ne présenterait donc pas le caractère d’universalité auquel elle prétend. Si la théorie de l’action interprète l’agir lui-même comme une valeur en soi, alors elle néglige ou disqualifie d’emblée l’attitude de ceux qui choisissent plutôt de cultiver une

Nous pensons ici au critère kantien de désintéressement dans l’expérience esthétique.



[63] Jusqu’à récemment le pragmatisme a eu mauvaise presse dans les sciences sociales européennes. Confondu parfois avec l’utilitarisme, souvent réduit à une philosophie de l’intérêt ou du profit, interprété comme une pensée individualiste ou opportuniste dépourvue de principes, le pragmatisme s’est prêté à nombre d’erreurs et de malentendus. S’il est vrai qu’il accorde une place centrale à l’action, celle-ci n’est pas posée comme une finalité mais bien plutôt comme un moyen de clarification des idées.

[64] Nous pensons ici au critère kantien de désintéressement dans l’expérience esthétique.

[65] Joas, H. (1999) La créativité de l’agir. Paris : Cerf.















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